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Jeudi, 15 Octobre 2009 - Message de Sa Béatitude NERSÈS BÉDROS XIX au colloque international de St. Gregoire de Narek

SAINT GRÉGOIRE DE NAREK ET LA LITURGIE DE L’EGLISE

 

Le 12 octobre 2009

Beyrouth, Liban

 

Message de Sa Béatitude NERSÈS BÉDROS XIX

Catholicos Patriarche de Cilicie des Arméniens catholiques

 

 

Sa  Béatitude Eminentissime Mar Nasrallah Boutros Sfeir

Patriarche Maronite d’Antioche et de tout l’Orient

Grand Chancelier de la faculté pontificale de Théologie de Kaslik,

S.E. R. Mgr Armache Nalbantian

Représentant S.S. Karékin II, Catholicos d’Etchmiadzine de tous les Arméniens,

S.E .R. Mgr Kégham Khatchérian

 Représentant S.S. Aram I, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie,

Rév Pasteur Meguerditch Karagueuzian

Président de l’Union des Eglises arméniennes évangéliques du Proche-Orient,

R.P. Abbé Elias Khalifé, Supérieur de l’Ordre Libanais Maronite

Chancelier de l’Université S. Esprit de Kaslik,

R.P. Hady Mahfouz, Recteur de l’Université S. Esprit de Kaslik,

R.P. Paul Rouhana, Doyen de la Faculté pontificale de théologie de l’Université S. Esprit,

Les honorables organisateurs de ce colloque :

S.E.R. Mgr Grégoire Gabroyan, évêque éparchial de l’éparchie Sainte Croix de Paris,

Les RR.PP. Lévon Zékiyan et Antranik Granian et

M. le Professeur Jean-Pierre Mahé ;

Hohonorables conférenciers du 2º Colloque International S. Grégoire de Nareg,

Bien Chers auditeurs et auditrices,

 

Dieu n’a pas besoin de nos voix pour le grandir.

Avant même, en effet, qu’il n’eût créé toutes choses,

avant que ne fussent les cieux, chantres immortels de sa gloire,

et nous-mêmes, êtres raisonnables pétris dans la terre,

Il était déjà glorifié en lui-même et dans sa propre plénitude (LL 34, 10).

 

Comme le dit si bien saint Grégoire de Narek, la liturgie vaut par elle-même, inconditionnellement. C’est une dette des créatures envers la gloire de Dieu. Enoch fut le premier homme à invoquer le nom du Seigneur (Gn 4, 26). Mais avant lui les anges proclamaient la sainteté du Créateur dans le temple céleste (Is 6, 3) ; et ici-bas la terre, la mer et tout ce quelles renferment la louaient sans relâche (Ps 69, 35). S’il devait un jour arriver que l’humanité tout entière, étouffée par le matérialisme, renonçât à prier, les pierres elles-mêmes (Lc 19, 40) appelleraient à grands cris Celui qui doit venir (Mt 11, 3).

 

Mais « le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14). Et, comme rayon­nement de la gloire de Celui qui l’a envoyé, Jésus nous a légué la prière que lui-même adressait à son Père (Mt 6, 9-13 ; Lc 11, 2-4). Il a enseigné aux apôtres à consacrer sa chair et son sang (Mt 26, 26-27), pour nourrir le corps de l’Eglise, dont il est la tête (Ep 4, 15). Grâce à ce précieux héritage de notre Seigneur Jésus-Christ, les chœurs des hommes s’unissent avec ferveur aux milices célestes et la gloire du Très-Haut inonde la terre de sa paix et de ses bienfaits (Lc 2, 13-14). Cette célébration liturgique ne peut être nourrie que par une intense oraison intérieure.

Mieux que tout autre, saint Grégoire de Narek a montré que ces trois sources de la vie de l’Eglise : la prière personnelle des fidèles, la liturgie de l’assemblée et la grâce des sacrements ne sauraient être séparées :

Tu m’as lavé, dit-il, au flot de ton baptême ;

ton ruisseau de vie m’a fait prendre racine.

Ton pain céleste m’a nourri,

ton sang divin m’a abreuvé.

Tu as laissé approcher de toi mes doigts pétris d’argile.

Tu m’as permis d’appeler mien

ton Père tout-puissant, redoutable et béni (LL 5, 2).

C’est parce que, par l’incarnation de son fils, Dieu s’est fait le prochain de l’homme (Lc 10, 36 ; LL 14, 1) et l’a intégré à sa propre chair, que nous pouvons appeler nôtres le Père de Jésus-Christ. C’est parce que nous avons été baptisés dans la mort du Christ (Rm 6, 3), que nous pouvons dire après lui la prière de Gethsémani : Abba, Père, à toi tout est possible ! (Mc 14, 36). Cependant, en cette heure d’agonie, la torpeur des disciples trois fois exhortés à la veille et trois fois succombant au sommeil, témoigne comme il est difficile de veiller et prier (Mt 26, 41), même en présence du Verbe incarné.

 


Jouant sur l’étymologie de son nom, saint Grégoire n’hésite pas à confesser :

J’ai reçu au baptême le nom de Vigilant (Gregorios),

et j’ai dormi du sommeil de la mort ;

en ce jour salutaire on m’appela Veilleur,

Mais j’ai fermé les yeux de ma conscience  (LL 72, 4).

C’est pourquoi, dans un effort cons­tamment répété, 92 des 95 prières du Livre de lamentation commencent par le même titre : Reprise et complément aux gémissements répétés du même Veilleur. Paroles à Dieu des profondeurs du cœur.

En la personne de Jésus-Christ, le Dieu transcendant, si lointain qu’on ne peut l’approcher, s’est fait si proche que rien ne s’intercale (LL 23, 1). Il est vrai que, depuis l’Ascension, le Sauveur triomphant est remonté à la droite du Père (Ac 7, 55 ; Rm 8, 34 ; Ep 1, 20). Pourtant, même de très loin, à très grande distance, alors qu’il siège à la cime des cieux, il reste proche en sa miséricorde (LL 17, 3). Et paradoxalement, c’est cette absolue proximité du Seigneur qui rend si ardue la pratique quotidienne des Paroles à Dieu. 

En effet, le discours ordinaire, qui s’adresse à des interlocuteurs humains, dissimule souvent beaucoup plus qu’il n’informe. On s’applique à paraître devant autrui en occultant ses manques et ses faiblesses, pour tenter d’effacer les traces du péché. Mais devant Dieu, visionnaire de tout secret (LL 1, 1), ces artifices sont parfaitement vains :

Ni de mots pour se justifier,

ni de manteau pour se voiler,

ni de masque pour déguiser,

ni feints discours pour s’approcher,

ni travestissements pour tromper,

ni de prétexte pour mentir  (LL 4, 1).

Cette exigence de complète sincérité provoque dans l’âme des pécheurs que nous sommes un réflexe de peur panique, d’angoisse irrépressible, qui nous mènerait directement au désespoir, si nous n’étions pas soutenus par les vertus théologales : foi, espérance et amour, images de la Sainte Trinité.

En effet ces trois êtres existent séparément,

mais si on les contemple comme la même unité mystérieuse,

on sera d’autant plus exalté jusqu’à Dieu.

Car si l’on croit en lui et si on l’aime, par là même on espère

 en ses dons invisibles (LL 10, 4).

 

Tout l’effort spirituel de saint Grégoire de Narek vise à gagner par la prière un espace de grâce et de liberté, où l’homme puisse s’en remettre à Dieu en toute vérité, se convertir et implorer non point « ce que je veux, mais ce que toi, tu veux » (Mc 14, 36). Cependant, si intime que soit l’oraison que chacun prononce toutes portes fermées (Mt 6, 6), elle ne saurait jamais être purement individuelle. Même si nous sommes seuls, nous disons Notre Père, et Jésus nous a enseigné que « là où deux ou trois seront assemblés en mon nom, je serai, moi aussi, parmi eux » (Mt 18, 20).


C’est pourquoi, tout en revendiquant la responsabilité personnelle de ses fautes, il s’exclame  « oui, moi seul et nul autre, tout cela je l’ai fait ». Saint Grégoire de Narek refuse de se désolidariser du péché de ses frères. « Sur moi, dit-il, tout ce que fit autrui » ! (LL 72, 3). Si le Christ n’a pas craint de revêtir le corps d’Adam et de prier son Père comme un pécheur, comment le simple fidèle refuserait-il alors d’inscrire sur soi la faillite d’Adam et de tenir pour siens les péchés de chacun ? (LL 50, 1). Qui s’exempterait de la dette, comme le Pharisien (Lc 18, 11-12), s’exclurait lui-même de la Rédemption.

Grégoire de Narek confesse donc tous les péchés des hommes, depuis le premier père jusqu’à son dernier descendant (LL 72, 1). Son œuvre ne s’adresse pas seulement à ses compatriotes, mais à la multitude des chrétiens assemblés dans tout l’univers (LL 3, 2), c’est-à-dire à l’Eglise universelle. Or, l’intention d’universalité ne s’exprime pleinement que dans la liturgie eucharistique offerte pour la race des êtres raisonnables (LL 3, 2), c’est-à-dire pour l’humanité dans son ensemble. Car le prêtre, simple mortel appelé par le Christ, a tout en lui de cette terre, mais aussi a mission de prier au nom du monde entier (LL 28, 2).

Ainsi, loin d’être un instrument de méditation solitaire, le Livre de lamentation est en réalité une initiation complète à la liturgie et aux sacrements de l’Eglise. Il s’inscrit dans la tradition prestigieuse des antiques Catéchèses mystagogiques de saint Cyrille de Jérusalem, traduites en arménien dès le Ve siècle. Saint Grégoire de Narek poursuit le même objectif que son père Khosrov, évêque d’Andzévatsik, voire exhorter les prélats de l’Eglise, qui élèvent les mains vers Dieu à la place de l’Eglise tout entière, à s’adonner hardiment à l’art de parler à Dieu, en prenant pour modèles, aptes à rendre leurs prières efficaces, les paroles des saints qui les ont précédés et qu’ils présentent à Dieu avec les requêtes du peuple.

Simplement, alors que l’évêque Khosrov partait de l’anaphore et du bréviaire pour ranimer la ferveur des âmes, saint Grégoire parcourt la même route en sens inverse. Il apaise l’angoisse, réveille la foi, l’espérance et la charité, libère la conscience du poids de ses péchés, pour que l’homme, réconcilié avec son Créateur, se prépare à l’eucharistie (LL 33), adhère de tout son cœur à la Règle de foi (LL 34), goûte au corps du Seigneur (LL 52, 3) et reçoive l’onction du saint-chrême (LL 93) en gage de la résurrection. Tout ce parcours initiatique s’accomplit dans l’enceinte d’un sanctuaire idéal, ouvert aux lecteurs de tous les âges et de toutes les nations. 

Nourri de l’Ecriture sainte et pénétré d’exégèse patristique, l’enseignement de Grégoire de Narek sur la liturgie de l’Eglise n’a rien d’une théorie abstraite, ni d’une spéculation intellectuelle. C’est un dialogue avec Jésus-Christ, Dieu dans la chair et grand-prêtre éternel. En s’adressant directement au Tout-Puissant, le saint docteur renoue avec la tradition prophétique, source de l’espérance comblée par l’avènement du Sauveur. Voici maintenant mille ans que son exemple illumine l’Arménie, la première nation chrétienne de l’histoire. Le moment est venu qu’il rayonne également sur les chrétiens du monde entier au sein de l’Eglise universelle.

En tant que Président de ce colloque international, je voudrais tout d’abord exprimer ma reconnaissance aux très hautes autorités qui nous ont fait l’honneur de lui accorder leur patronage. S.E.R. le Cardinal Leonardo Sandri, Préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, a tenu à saluer cet hommage rendu au plus illustre docteur de l’Eglise arménienne. S.E.R. Le Cardinal William Joseph Levada, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, témoigne par le message qu’il nous a envoyé, de l’importance, pour la vie de l’Eglise, de l’héritage apostolique transmis par les fils de saint Grégoire l’Illuminateur. S. B. Emme le Cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir, Patriarche Maronite d’Antioche et de tout l’Orient, Grand Chancelier de la faculté pontificale de théologie de l’Université, nous accorde le privilège exceptionnel de prononcer la conférence d’ouverture : Liturgie et connaissance de Dieu . Sa contribution nous est d’autant plus précieuse que saint Grégoire de Narek fut un fervent lecteur de saint Jean Chrysostome, phare de l’Ecole exégétique d’Antioche, et de saint Ephrem de Nisibe, sommet inégalé de la théologie et de la poésie syriaques.


La grâce du docteur arménien de l’an mil irrigue sa nation tout entière. C’est pourquoi nous sommes particulièrement heureux des paroles fraternelles que nous ont adressées S. S. Karekin II, Catholicos de tous les Arméniens, S. S. Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, et nous nous réjouissons de la présence du Pasteur Meguerditch Karagueuzian, Président de l’Union des Eglises arméniennes évangéliques du Proche-Orient.

La tenue de notre colloque eût été impossible sans l’hospitalité généreuse de l’Université Saint Esprit de Kaslik, à qui nous souhaitons rendre grâces en la personne de son Recteur, le R. P. Hady Mahfouz, et du R. P. Paul Rouhana, Doyen de la Faculté pontificale de théologie, qui a accepté la tâche difficile de présenter les conclusions de nos échanges.

Notre reconnaissance envers l’Institut Pontifical Oriental de Rome, où s’était tenu en 2005 le premier Symposium international sur l’œuvre doctrinale de saint Grégoire de Narek, nous la présentons en la personne de son Pro-Recteur, le R.P. Sunny Kokkaravalayil.

Je remercie enfin les organisateurs et les participants de notre rencontre, les R.R. P.P. Lévon Zékiyan et Antranik Granian, qui en ont défini le programme scientifique avec le Professeur Jean-Pierre Mahé, ainsi que S.E.R. Monseigneur Grégoire Ghabroyan, qui en a été la cheville ouvrière. Mais notre gratitude s’étend en premier lieu à tous les participants de Kaslik, d’Arménie, d’Europe et d’Amérique, qui nous aideront, durant ces trois jours, à sonder les inépuisables richesses du plus éminent des docteurs arméniens, qui appartient en fait et depuis toujours à la chrétienté tout entière.

 

 

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