La seconde tentative d'émancipation eut lieu en 1740 à Alep. Mgr Ardzivian fut élu patriarche par ses évêques, son clergé et ses fidèles, comme il sera dit ailleurs. Le Pape BenoÎt XIV confirma son élection patriarcale et lui confia la mission d'unifier sous son autorité patriarcale tous les Arméniens Catholiques.
Projet d'autant plus ambitieux que les Arméniens Catholiques étaient disséminés dans des pays différant les uns des autres par leurs langues, leurs cultures, leurs régimes politiques, leurs gouvernants souvent très soupçonneux envers toute interférence extérieur même religieuse.

Comme début, on se limita au seul Empire Ottoman, ou les Arméniens Catholiques avaient l'avantage de vivre sous une même administration.
Le nouveau Patriarche, dans l'exercise de ses pouvoirs, s'achoppa à deux obs­tacles majeurs; ce fut d'abord le Sultan, qui refusa de reconnaître ce Patriarcat crée par Rome et qui, semble-t-il, allait à l'encontre des lois de l'Empire. Les interventions occidentales devenant vaines, Ardzivian et son Patriarcat furent mis au ban de l'Empire. Le Patriarche düt se refugier au Liban, dans son monastère de Kreim (Ghosta, Kesrouan) qu'il avait fondé en 1720-22 avec l'aide de ses ouailles d'Alep.
Le Liban jouissait d'une certaine autonomie par rapport à Constantinople, à cause de la rivalité entre les vice-rois ou pachas d'Egypte et les Sultans, leurs superieurs. Cette situation offrait une certaine garantie contre les multiples vexations des adversaires.
Le second obstacle était également non prévu: une fois établi à Kreim, Mgr Ardzivian buta contre l'opposition de la hiérarchie catholique, tant arménienne que latine, qui rechignèrent à se soumettre à cette nouvelle autorité patriarcale, même si dument mandatée par Rome.
Le St. Siège à son tour, en attendant que le nouveau Patriarcat s'organise et se procure le personnel nécessaire à un si vaste champ d'action, dut réviser son plan initial. Il jugea bon de créer deux juridictions arméniennes catholiques en les calquant sur celles de l'Eglise Arménienne dans l'Empire, constituée de deux circonscriptions ecclésiales: celles de Constantinople et de Sis. Les diocèses catholiques correspondants à ceux de Sis furent confiés aux Patriarcat Arménien Catholique, et les diocèses catholiques correspondants à ceux de Constantinople, confiés au début au Vicaire Patriarcal latin de Constantinople, passèrent sous la juridiction de l'Archeveché Arménien Catholique, qui y fut érigé ultérieurement.
Il en résulta deux centres de commande pour les sujets arméniens catholiques de l'Empire Ottoman: celui de Constantinople et celui de Bzommar. Cette situa­tion anormale, causée par les circonstances, dura jusqu'en 1866, lorsque ces deux centres furent finalement réunis.

Les missionnaires latins pénétrèrent dans l'Empire Ottoman sur les traces des troupes victorieuses d'Europe, surtout au début du XVIo siècle. Ils entrèrent en contact avec des peuples, des cultures et des rites de l'ancienne Eglise d'Orient. Le zèle chez certains missionnaires fut souvent plus grand que leur connaissance du passé glorieux de ces Eglises, ce qui fit que les décrets et directives émanant des Sou­verains Pontifs pour la sauvegarde des rites, ne furent pas toujours respectés par les missionnaires. On était bien loin de l'esprit œcuménique actuel.
Ces missionnaires cependant eurent le mérite incontesté d'avoir insouffler un renouveau spirituel parmi les fidèles, d'avoir suscité des vocations apostoliques. Les Patriarches, évêques ou simples religieux, que nous rencontreront dans ces pages dédiées au 250ème anniversaire de leur œuvre collective, appartinrent à cette lignée d'hommes dévoués à la religion, à l'ardeur apostolique débordante, sans arrière pensee politique ou ambition humaine. Ils luttèrent pour le triomphe de la Vérité telle que perçue par eux. Des figures illustres en leurs temps et qui pourraient servir d'exemple aux générations futures.